Réflexions à l’issue de ma visite sur le site de Fukushima en septembre 2013.
Comment le Japon qui est la troisième puissance économique mondiale a-t-elle pu aller à un tel accident nucléaire ? Quels enseignements en retirer ?
Le caractère sacré de la nature, inscrit dans les fondements du shintoïsme, la confiance a priori dans l’homme et la nature, pourrait être un premier élément d’explication d’ordre culturel. Dans un tel schéma, le Japon aurait abusiment considéré que l’homme ne peut pas se tromper, que la nature ne peut pas être hostile à l’homme. Une telle attitude aurait conduit à écarter d’emblée des hypothèses défavorables dans le dimensionnement des réacteurs. J’écarte un tel fatalisme car le respect de l’homme et de la nature, également inscrits dans les fondements du shintoïsme, n’enlève en rien à la réalité que l’homme peut se tromper, que la nature peut se révéler dans des dimensions que nous ne connaissons pas.
Un autre élément qui me parait en revanche fondamental à devoir être pris en compte, est l’ouverture relativement récente du pays aux sciences et aux technologies.
Pendant deux siècles, du début du XVII ème siècle à la fin du XIX ème siècle, voire au début du XX è me siècle, le Japon, s’était complètement replié sur lui-même, interdisant par la peine de mort tout contact avec les étrangers.
Si le Japon, après abandon du système féodal à la fin du XIXème siècle, a su acquérir rapidement grâce à son travail et sa dextérité, la maîtrise de très hautes technologies, le fondement du savoir et de la culture scientifique, a pu ne pas avoir été profondément établi.
Or, dans le même temps, nous connaissons depuis le milieu du vingtième siècle dans tous les pays occidentaux, après deux vagues de guerres mondiales ravageuses et désastreuses, sur tout en Europe, une coupure nette dans l’enrichissement et la diffusion de la culture scientifique. Sur la lancée des connaissances, nous avons certes progressé dans la technologie, dans l’apprentissage des techniques. Certes, des prix Nobel de Physique, des Médaille Fields de Mathématique, demeurent encore distribuées. Mais depuis pratiquement un siècle, la description de l’univers s’est complexifiée sans avancée notable dans sa compréhension intime, la large diffusion des connaissances scientifiques s’est ralentie malgré l’illusion d’un partage sans limite mais étroitement encadré par internet. De fait, l’esprit critique, l’attitude interrogative, la capacité à remonter aux causes premières, à la base de la culture scientifique, ont conjointement régressé.
Le Japon va se battre pour éliminer le plus rapidement possible les conséquences du tsunami de 2011 qui a fait à lui seul plus de 20000 victimes, et celles de l’accident nucléaire de Fukushima, induit par le tsunami, et qui a rendu des zones inhabitables pendant de trop longues décennies. Et il va y arriver.
L’énergie nucléaire est indispensable au Japon qui ne bénéficie d’aucune source d’énergie sur son territoire hormis les énergies renouvelables qui ne peuvent à elles seules répondre aux besoins de l’Archipel. Cette nécessité ne doit pas empêcher le Japon de tirer le retour d’expérience en matière de conception de ses réacteurs, dans la prise en compte d’un plus large spectre d’hypothèses de dimensionnement. Il faudra qu’il progresse également dans sa culture de sûreté, en matière de transparence pour reconquérir la confiance aujourd’hui clairement ébranlée, et en matière d’attitude interrogative car l'accident était évitable par la prise en compte effective dans la conception des données historiques des tsunamis sur la côte de SendaÏ.
Mais ces enseignements doivent également interpeller toute la communauté nucléaire internationale, qui après deux accidents majeurs, à Three Mile Island et Tchernobyl, n’a pas su empêcher l’accident de Fukushima.
Débordement, excès de confiance en soi, absence d’esprit critique, ne constituent pas l’apanage d’une partie de l’industrie nucléaire.
La crise financière mondiale dans laquelle nous sommes durablement plongés est un tsunami financier qui pourrait engloutir par les erreurs commises un Etat comme celui des Etats Unis d’Amérique. A ce jour, à cause du « shut down » américain, l’Autorité de Sûreté Américaine, la NRC, ne procède plus aux inspections élémentaires de sa responsabilité. La faillite de l’Etat fédéral américain, ou de tout autre Etat à travers le monde, serait de nature à conduire à d’autres catastrophes.
La capacité d’entreprendre, l’initiative, la prise de risque, permettent le mouvement, la création, l’innovation, la liberté, la vie.
Dans le même temps, l’esprit de sagesse et de mesure, le recul, la capacité interrogative, la prise en compte de l'intérêt général et du long terme, demeurent indispensables.
Fukushima nous interpelle dans cette nécessaire conjonction de la science et de la conscience, des pouvoirs et des contre pouvoirs, de la sagesse, de la liberté et de la vie.