L’énergie nucléaire apporte une valeur ajoutée dans la sécurité d’approvisionnement énergétique pour le plus grand nombre, en traversant les générations. La contrepartie, c’est un très haut niveau d’expertise et de compétences industrielles établi sur le long terme, avec conjointement un environnement institutionnel et régulatoire nécessairement également porté sur le temps long.
Avec maintien en permanence de la priorité une à la sûreté et à la sécurité nucléaire
La sûreté nucléaire (éviter un accident grave et en limiter les conséquences éventuelles) comme la sécurité (au sens protection physique des personnes et des installations à caractère vital pour la Nation) sont des enjeux prioritaires permanents.
La sûreté comme la sécurité relèvent de dispositions techniques et humaines/organisationnelles. L’un ne va pas sans l’autre. Non seulement la technique mais aussi l’homme. « Non solum sed etiam,». La maitrise technique et industrielle est importante. La compétence individuelle et collective, la culture, l’organisation, et la gouvernance dans les prises de décisions et leur mise en œuvre sont conjointement tout aussi importants. C’est bien l’homme fondamentalement qui doit demeurer durablement au centre premier de l’action et de la finalité de celle-ci.
La sûreté nucléaire se distingue par une probabilité d’occurrence très faible mais non nulle, mais avec des conséquences qui peuvent s’établir sur le long terme, sur des dizaines d’années voire plusieurs siècles pour un territoire.
Le premier principe sur lequel se fonde la sûreté nucléaire est celui de responsabilité. C’est l’exploitant nucléaire qui est le premier responsable de la sûreté nucléaire. Ainsi, à Fukushima, au Japon, c’est bien l’exploitant nucléaire Tepco qui était en première ligne et non General Electric ou Toshiba, les fournisseurs de la chaudière nucléaire des réacteurs accidentés.
Cette responsabilité s’exerce de la première conception en passant par la réalisation, l’exploitation, la déconstruction et la prise en compte dans ses provisions financières des provisions pour le traitement ultime de ses opérations industrielles.
C’est le cas pour EDF, premier exploitant nucléaire mondial (73 réacteurs sur les 450 réacteurs industriels en exploitation dans le monde à fin 2018, 58 en France et 15 au Royaume Uni). EDF est concepteur architecte ensemblier, responsable de la démonstration de sûreté à la conception. Il assure la responsabilité de l’exploitation nucléaire. Les provisions effectives pour la déconstruction des réacteurs en fin d’exploitation et pour le traitement ultime des déchets nucléaires sont publiées en toute transparence dans ses comptes, régulièrement audités.
Depuis l’accident de Three Mile Island aux US le 28 mars 1979, (erreur humaine d’interprétation de la situation physique en salle de commande sur un réacteur quasi neuf), la prise en compte de la dimension humaine fait l’objet d’une attention renforcée dans la conception et l’exploitation des installations nucléaires en France avec des dispositions techniques ( interface homme / machine, mise en place d’un simulateur sur chaque site) et humaines /organisationnelles ( meilleure prise en compte de l’erreur humaine à la conception comme à l’exploitation, introduction d’une ligne de défense organisationnelle sur tous les sites à enjeu et y compris au plus haut niveau de l’entreprise, de la tête de Groupe EDF, avec des personnes et des instances dédiées spécifiquement à la sûreté nucléaire à ces différents niveaux dans l’organisation).
Depuis l’accident de Tchernobyl en Ukraine le 26 avril 1986 ( arrêt volontaire des protections physiques du cœur pour réaliser un essai de pertes de sources électriques externes et internes) , il y a eu déploiement au niveau mondial de la notion de « culture de sûreté[1] », réaffirmant la notion de l’exploitant nucléaire responsable et mettant en avant l’importance des attitudes et des méthodes d’action : humilité et prudence, ( le risque zéro n’existe pas et n’existera jamais - l’importance des marges de sûreté, analogue au « pied de pilote » des marins), rigueur et professionnalisme, questionnement critique à commencer par soi-même et attitude interrogative, transparence, communication….Cette notion de culture de sûreté concerne au premier chef l’exploitant nucléaire, mais aussi tous ses sous-traitants et fournisseurs. Les non qualités constatées au Creusot en France dans les années 2000 ont relevé d’une défaillance de la culture de sûreté.
Depuis l’accident de Fukushima au japon le 11 mars 2011, ( non prise en compte d’un niveau exceptionnel de tsunami, mais aussi prise en compte insuffisante du retour d’expérience des événements précédents - prévention du risque hydrogène et confinement des produits radioactifs en cas de fusion du coeur - organisation de crise) il y a eu réaffirmation à travers la communauté nucléaire internationale de l’importance de la prise en compte par l’exploitant nucléaire des enjeux de conception - et introduction de réexamens approfondis sur la prise en compte du risque « d’ effet falaise[2] » dans les choix de conception et les modes d’exploitation.
La prise en compte des incertitudes ( comme le risque zéro qui n’existe pas, l’avenir est par définition incertain, et des incertitudes sont nécessairement à considérer) , la prise en compte du questionnement critique dans les modes de prise de décision, dans les modes de gouvernance, feront très certainement l’objet d’un retour d’expérience plus approfondi et d’un enseignement majeur généralisé, comme cela a pu l'être pour les accidents majeurs précédents ( nécessité de mieux prendre en considération le risque d’erreur humaine après TMI, et valorisation du rôle et de la place des hommes et des femmes à travers la culture de sûreté après Tchernobyl). Mais il faudra du temps, comme cela a été le cas et c’est encore le cas, pour les accidents majeurs précédents : le nucléaire demeure encore une industrie jeune par rapport aux autres grandes industries, et la diffusion du retour d’expérience tant dans le domaine technico industriel que dans le domaine culturel et socio organisationnel s’établit sur des dizaines d’années au niveau mondial.
Le maintien de la priorité une à la sûreté nucléaire, au-delà de l’exercice de la responsabilité première de l’exploitant nucléaire, s’appuie nécessairement sur des autorités de sûreté nucléaire indépendantes de l’exploitant, compétentes, et reconnues par l’ensemble de la population.
Il doit pouvoir également s’appuyer sur une expertise compétente, des programmes de recherche et de développement pour pouvoir toujours disposer des meilleurs éléments de connaissance et des meilleures techniques disponibles, et d’industriels compétents et performants sur la durée.
Le développement de compétences ne se fait pas en un jour. La transmission des connaissances d’une génération à l’autre impose la prise en compte des savoirs explicites mais aussi implicites, car une masse importante de données et de savoirs se transmettent par frottement et par l’expérience. Aussi performants et utiles puissent elles être, la traçabilité, l’assurance de la qualité, les banques de données et les systèmes de traitement de l’information et d’intelligence dite artificielle ne remplaceront jamais complètement l’intuition et la créativité humaine qui sont à la base de l’engagement, de la motivation et de l’innovation. L’expérience quant à elle permet de garder le lien avec la réalité qui dépasse toujours la fiction.
Le maintien du caractère prioritaire de la sûreté nucléaire doit pouvoir s’appuyer en conséquence sur le maintien dans le temps d’un environnement et d’une politique de long terme, capable de faire face ainsi à des enjeux industriels et financiers sur des échelles de temps quasi immédiate (la fusion du cœur à TMI a eu lieu en trois heures) et notoirement plus longue, le cycle d’un réacteur nucléaire industriel se situant à l’échelle du siècle notamment.
La sûreté nucléaire est ainsi une question immédiate sur le temps réel, mais porte aussi une vision sur le futur, sur le long terme, a minima sur plusieurs générations ; avec en toile permanente de fond, le rôle et la place des hommes et des femmes.
A noter également que le retour d’expérience international met en évidence que la priorité première durablement accordée à la sûreté nucléaire tire la performance industrielle dans son ensemble et qu’elle constitue le meilleur gage de confiance, et donc d’acceptabilité pour le nucléaire, auprès de la population.
[1] cf rapport INSAG 4, International Nuclear Safety Advisoy Group de l’AIEA https://www-pub.iaea.org/MTCD/publications/PDF/Pub882_web.pdf
[2] La petite variation d’un seul paramètre peut introduire un déséquilibre global à l’image de la chute d’une personne en bordure de falaise
Des provisions financières pour le long terme
Les provisions pour la déconstruction des installations nucléaires s’élevaient pour EDF à fin 2018 à 15,985 Milliards d’euro et les provisions pour le traitement à long terme des déchets radioactifs à 9,846 milliards d’euro[1]. Les risques sur le taux d’actualisation, les futurs taux d’intérêt, les risques futurs de non liquidité, les risques de contrepartie, tant pour les acteurs industriels que pour les opérateurs financiers et autres, le risque de taux de change, font l’objet de dispositions spécifiques prises par EDF.
De manière générale, pour l’ensemble des opérateurs nucléaires au niveau français, comme au niveau européen et mondial, ces provisions s’appuient sur des actifs dédiés industriels créateurs de valeur ajoutée très matérielle sur la durée et dont la contrepartie est robuste, mais aussi sur des instruments financiers aux rendements qui peuvent être très virtuels et théoriques pour le futur.
L’existence de déficits publics prononcés, notamment au niveau de l’Etat français, requiert une vigilance particulière dans le non détournement de ces actifs dédiés qui doivent garantir la liquidité de ces provisions au moment de leur emploi dans le futur. En complément, le développement de nouveaux instruments financiers, dont en particulier les crypto pseudo-monnaies qui ne bénéficient pas de réglementations ad hoc, tant au niveau national qu’européen, devra faire l’objet d’une attention particulière de toutes les parties prenantes afin que ces fonds ne puissent pas être associés sur la durée à des détournements frauduleux voire de blanchiment divers, mais qu’ils soient véritablement créateurs de valeur et dédiés à leur raison d’être.
[1] cf pages 472 et 470 du document de référence d’EDF 2018
De la robustesse des dispositions industrielles et des devis pour la déconstruction et le traitement ultime des déchets nucléaires
Le retour d’expérience international pour la filière nucléaire à eau pressurisée permet aujourd’hui de disposer d’un retour d’expérience avec des installations de puissance similaires au parc nucléaire existant en France, et complètement déconstruites. En France, l’achèvement en cours de la déconstruction de Chooz A dans les Ardennes (réacteur quatre boucles à eau pressurisée) confirme la démonstration du savoir-faire industriel de la France pour ce type de réacteur constituant le parc nucléaire aujourd’hui en exploitation en France, avec une fin de déconstruction prévue pour Chooz A en 2022, conformément à la planification initiale.
La déconstruction en cours en France du surgénérateur à neutrons rapides, Super Phénix, trop (?) en avance sur son temps, (alors que la Russie, l’Inde, et la Chine continuent dans le développement des réacteurs à neutrons rapides…) se déroule sans difficulté majeure. Le traitement du sodium est achevé et la déconstruction de la cuve est en cours.
La déconstruction des réacteurs de première génération de licence CEA, au graphite et au gaz carbonique, (premier réacteur EDF Chinon A1 démarré en 1963 et dernier réacteur EDF Bugey 1 arrêté en 1993), est plus délicate, avec une première sortie de graphite prévue à ce jour à l’horizon 2044 après la réalisation d’un premier démantèlement à sec du premier réacteur, puis la mise à disposition d’un exutoire ad hoc de graphite à l’horizon 2070 pour traiter l’ensemble des réacteurs au graphite gaz français et leurs déchets ultimes de déconstruction.
A noter que la France demeure en avance sur le plan industriel pour la déconstruction de ces types de réacteurs industriels, (réacteurs similaires, 27 réacteurs arrêtés et 14 en exploitation au Royaume Uni, réacteurs au graphite et à eau pressurisée en Russie et Ukraine,…)
Pour le traitement ultime des déchets nucléaires à haute activité et à vie longue, issus du retraitement des combustibles usés, le consensus international s’est établi pour considérer qu’une protection géologique constitue la meilleure disposition industriellement établie pour apporter une sûreté dite passive (sans prise en compte de dispositions humaines ou organisationnelles) sur le long terme.
Avec une sûreté active, la sûreté est d’ores et déjà actuellement assurée pour le court et moyen terme (quelques centaines d’années) avec les provisions financières constituées.
Le choix d’une disposition passive se justifie pour des horizons de temps qui se situent à des échelles de temps plus éloignées, pour prendre en compte le risque de la perte de la mémoire du lieu de stockage, ou tout du moins le risque potentiel pour la population ou l’environnement en tant que tel en cas de défaillance institutionnelle généralisée.
La radioactivité fait partie de la nature, tant dans les rayons cosmiques, que dans la profondeur de la Terre. Les eaux minérales peuvent se différencier en fonction de leur composition en émetteurs radioactifs[1]. Les voyageurs en avion s’exposent aux rayonnements cosmiques qui peuvent dépendre de l’activité solaire et cosmique[2]. Ceci constitue un fond de rayonnement radiologique naturel qui constitue un premier point de référence.
Des réacteurs nucléaires naturels ont fonctionné durant des centaines de milliers d’années il y a deux milliards d’années[3]. Ces réacteurs nous apportent de précieuses informations sur le devenir des matières fissiles, uranium comme plutonium produit dans ces réacteurs, et des produits de fission, sans précaution particulière.
Les dispositions prises en France, pour valoriser les matières fissiles, uranium et plutonium à travers le cycle du combustible et les réacteurs ad hoc permettent de limiter à la source le volume de déchets ultimes résiduels. Certains pays font d’autres choix, et préfèrent disposer d’un cycle ouvert du combustible considérant les combustibles dits usés en sortie de réacteur comme des déchets ultimes. Le choix du non gaspillage, de l’économie des ressources naturelles, du tri sélectif et de l'économie circulaire, mais aussi l’attention à ne pas dépendre que de l’importation pour l’approvisionnement en uranium, conduit légitimement la France à rechercher la valorisation des matières fissiles disponibles et à mettre en œuvre le retraitement des combustibles usés. Les considérations économiques sont nécessairement prises en compte pour optimiser les flux de retraitement et optimiser les cycles de stockage des combustibles usés en piscine, les cycles de retraitement du combustible usé et le recyclage en cœur des matières fissiles. Gardons simplement en mémoire que les matières fissiles recyclables représentent 96 % en masse de la matière présente dans les combustibles usés, et que le potentiel énergétique disponible dans cette matière est très largement supérieur au flux annuel d’importation de pétrole et de gaz de la France (pour un coût direct à l’importation de 38 milliards d’euro pour le pétrole et 10 milliards d’euro pour les douze derniers mois à fin aout 2019)[4] . Gardons en mémoire également que les réserves d’ores et déjà constituées par la France en matières fissiles pourraient, en cas de tension généralisée sur l’approvisionnement énergétique, et avec l’emploi de filières ad hoc (réacteurs à neutrons rapides), permettre la mise à disposition d’une énergie autonome pour la France pour plusieurs siècles.
Les provisions financières prises en compte en France pour le stockage ultime des déchets nucléaires prennent en compte les hypothèses les plus réalistes sur le plan industriel et les données disponibles au niveau mondial sur le sujet. L’inter-comparaison au niveau international permet de challenger entre elles les solutions industrielles qui se déploient désormais dans plusieurs pays à travers le monde[5].
Pour la France, et avec les déchets d’ores et déjà produits ou prévus, le programme industriel associé s’établit jusqu’au milieu du 22 ième siècle a minima.
[1] https://www.irsn.fr/FR/connaissances/Environnement/surveillance-environnement/surveillance-alimentaire/surveillance-eaux/Pages/3-Bilan-qualite-radiologique-eaux-conditionnees.aspx#.XeuIIBSlhz8
[2] pour calculer la dose de rayonnement reçue lors d'un vol et approfondir les connaissances sur le rayonnement cosmique. https://www.sievert-system.org
[3] réacteurs d’Oklo au Gabon
[4] https://www.statistiques.developpement-durable.gouv.fr/conjoncture-energetique-mensuelle-septembre-2019
[5] Suède, Finlande, Suisse, Canada, …
La nécessité en France d’une piscine complémentaire centralisée d’entreposage des combustibles usés
Le nécessaire équilibre des flux de plutonium entre ce qui sort des réacteurs de production, ce qui va dans les usines de retraitement, et ce qui retourne dans les réacteurs en production, impose de disposer de marges tampons. Aujourd’hui le flux actuel de retraitement du plutonium est calé sur la capacité de recyclage dans les réacteurs à eau pressurisée, les réacteurs à neutrons rapides Phenix et Super Phenix ayant été arrêtés et le projet de réacteur Astrid reporté pour sa phase de réalisation. A ce jour, seule une vingtaine de réacteurs 900 MW sont en situation de pouvoir accueillir le plutonium recyclé à travers le combustible MOX. L’extension au palier 1300 MW est en cours d’instruction. Le recyclage du plutonium sur plusieurs cycles dans le MOX fait également l’objet d’une étude en cours.
Ces études et instructions dont dépend l’extension voire le maintien des flux de recyclages du plutonium[1], impose de différer les opérations de retraitement pour une partie du combustible usé et donc de renforcer les capacités d’entreposage des combustibles usés.
Pour des raisons de sûreté, plutôt que de renforcer la capacité d’accueil de chaque piscine de chacun des sites de production, il apparait préférable de viser une installation complètement neuve pour ces installations complémentaires d’entreposage, en disposant des meilleures dispositions techniques disponibles. Tout en limitant ainsi au strict minimum sur chacun des sites de production le volume de combustible usé, ces derniers bénéficient par ailleurs à chaque révision décennale d’une amélioration de sûreté spécifique aux piscines.
Au regard des flux en présence, le besoin de disponibilité de cette piscine complémentaire se situe à l’horizon 2030[2].
[1] les capacités de recyclage des tranches nucléaires du parc français conduisent à traiter environ 1100 tonnes de combustibles usés par an, cf page 26 du Document de référence EDF 2018
Durée de fonctionnement des réacteurs existants
Six réacteurs ont déjà franchi en France une durée d’exploitation de 40 ans. Fessemheim 1 et 2, et Bugey 2,3,3 et 4.
Le parc nucléaire français actuel est dit de deuxième génération. Il a bénéficié d’une démarche de standardisation industrielle et d’une construction par paliers successifs. Cette approche apporte une valeur ajoutée, et en matière de sûreté nucléaire pour faciliter la détection des événements précurseurs et des signaux faibles, et sur le plan économique en mutualisant de façon utile tout ce qui peut l’être. Cette réussite industrielle du parc nucléaire français existant (qui rappelons le permet à la France d’exporter chaque année depuis des dizaines d’années, plus de deux milliards d’euro, en électricité ce qui confirme la pleine compétitivité du parc nucléaire français existant), est restée encore récemment comme unique au monde. Elle est désormais également déployée en Chine dont la taille du parc nucléaire est en passe de remplacer la France à la deuxième place mondiale, derrière celle du parc américain. Une telle approche requiert, au regard des enjeux de sûreté nucléaire évoqués plus haut, des exploitants nucléaires disposant, dès le moment de la conception des réacteurs, d’une perspective sur l’ensemble du cycle d’exploitation, un tissu industriel performant apte à répondre aux exigences de qualité et de l’exploitant, et un environnement général favorable pour continuer à investir, et en compétences, et en innovation technique.
La législation et la réglementation de la sûreté en France impose un réexamen décennal. Ce réexamen comporte deux volets.
Le premier volet porte sur un examen de conformité pour s’assurer que les mécanismes potentiels de vieillissement ne font pas apparaitre de fragilité pour les dix prochaines années d’exploitation, et que les marges de sûreté prévues à la conception demeurent disponibles.
Un deuxième volet porte sur une réévaluation de sûreté, avec des modifications sur le réacteur lui-même, pour renforcer encore la sûreté à la conception, renforcer la robustesse aux agressions internes type incendie par exemple, ou externes, types séisme ou phénomènes météorologiques extrêmes, diminuer le risque de fusion du cœur et prévenir les conséquences éventuelles d’un accident grave. Ce réexamen intègre le retour d’expérience du parc français, mais aussi le retour d’expérience international. On peut ainsi estimer que le risque de fusion du cœur a diminué de près d’une décade entre la conception initiale, au moment de leur construction, et l’état actuel des réacteurs en exploitation en France.
Les évolutions à venir avec la prise en compte du risque d’effet de serre et de ses conséquences, et les données de retour d’expérience venant de l’ensemble de la communauté nucléaire des exploitants nucléaires, notamment à travers l’association mondiale des opérateurs nucléaires WANO[1], font l’objet d’un suivi particulier, notamment à travers les revues de pairs entre exploitants nucléaires, (Peer Review de Wano) et entre Autorités de sureté ( revues OSART de L’AIEA[2])
Parmi le retour international, les données relatives à l’instruction de la prolongation à 80 ans engagée par les opérateurs nucléaires américains et l’autorité de sûreté américaine, constituent un point de repère important. Six réacteurs font l’objet d’une telle instruction, Turkey Point 3 et 4 (réacteurs à eau pressurisée de 800 MWe, chaudière Westinghouse, démarrés en 72 et 73, exploitant Florida Power and Light Compagny); Peach Bottom 2 et 3, (réacteurs à eau bouillante de 1300 MW de chaudière général Electric, exploitant Exelon) ; et Surry 1 et 2, (réacteurs de 800 MW à eau pressurisée, chaudière Westinghouse, démarrés en 1972 et 1983, exploitant Dominion).
Turkey Point 3 et 4 viennent d’obtenir le 4 décembre 2019 de la part de l’Autorité de sûreté américaine, la NRC[3], la licence pour 80 ans d’exploitation.
Nouveau nucléaire
Les réacteurs dits de troisième génération se distinguent par des objectifs de sûreté notablement renforcés à la conception, avec diminution d’un facteur dix du risque de fusion de cœur par rapport à la conception initiale des réacteurs précédents, et mise en place de dispositions techniques pour limiter à un périmètre restreint dans le temps et l’espace les conséquences potentielles pour la population et l’environnement d’un éventuel accident grave avec fusion du cœur.
Flamanville 3, dont la construction a démarré le 3 décembre 2007, a souffert de l’absence de construction neuve en France durant plus de vingt ans (le dernier démarrage d’un chantier de construction neuve avait eu lieu en France vingt ans auparavant, en 1988 à Civaux (Civaux 2 a démarré en 1997 et Civaux 2 en 1999), avec en conséquence la perte de compétences industrielles de réalisation, tant pour EDF que pour ses fournisseurs.
Le retour d’expérience de Flamanville 3 a cependant été déjà très utile pour Taishan 1, dont la construction a démarré le 18 novembre 2008 après Flamanville 3, et dont le premier couplage au réseau électrique a eu lieu le 29 juin 2018, et pour Taishan 2 (début de construction le 15 avril 2010 et premier couplage au réseau électrique le 23 juin 2019). Le retour d’expérience d’ores et déjà disponible de cette exploitation industrielle permet de confirmer les choix de conception de l’EPR qui a été le premier réacteur de troisième génération à démarrer dans le monde.
Les réacteurs de Fessemheim 1, Bugey 2, Tricastin 1, Gravelines 1 et Dampierre 1 ont été démarrés respectivement en 1977 pour Fessemheim, 1978 pour Bugey, et 1980 pour les trois derniers. Ces réacteurs dépasseront les 50 ans à l’horizon 2030. Si techniquement, les 60 ans voire les 80 ans sont atteignables en exploitation au regard des données d’exploitation et du retour d’expérience international, il apparait cependant nécessaire de prévoir le remplacement partiel de manière anticipée et graduée pour éviter un effet de pointe plus difficilement gérable sur le plan industriel.
Le temps de retour sur investissement apparait aujourd’hui très en faveur du nucléaire existant à travers le Grand carénage en cours, et qui constitue la source décarbonée et pilotable la plus compétitive. La Commission de régulation de l’Energie (la CRE) a reçu pour l’année 2020 un total de demandes de 147,0 TWh d’électricité nucléaire formulées par 73 fournisseurs - hors fourniture des pertes des gestionnaires de réseau et hors filiales d’EDF - alors que la quantité d’électricité allouée aux fournisseurs au prix de 42€ par MWh est plafonnée à 100 TWh[1] . La décision d’investir dans le nouveau nucléaire devra requérir des modalités de financement adaptées et une régulation ad hoc de mise à disposition de l’énergie nucléaire dans son ensemble en y incluant le nouveau nucléaire. Cette régulation du nucléaire devra tenir compte de la nécessaire rétribution à sa juste valeur de l’opérateur industriel qui en assure la maitrise industrielle, et donner une visibilité suffisante sur la durée aux fournisseurs et investisseurs de toute nature, pour qu’ils soient en situation d’investir et de contribuer à la performance industrielle du nucléaire, pour et dans le respect de l’intérêt général de tous.
Pour ne pas reperdre à nouveau la compétence industrielle aujourd’hui partiellement reconstituée avec la construction de Flamanville 3 en voie d’achèvement, et pour répondre de manière graduée et efficace au besoin de début de remplacement du parc nucléaire existant, il conviendrait ainsi de pouvoir démarrer la construction avant 2025 de nouveaux réacteurs.
Le modèle EPR.2 aujourd’hui étudié est aujourd’hui quasiment disponible pour bénéficier du retour d’expérience de Flamanville 3, de Taishan et de Hinkley Point C en cours de construction au Royaume Uni et dont le démarrage est visé à l’horizon 2025. Ce projet bénéficie également de simplifications et d’innovations de tout ordre qui ne remettent pas en cause la conception EPR aujourd’hui qualifiée, mais qui facilitent la réalisation industrielle, et qui constituent ainsi une assurance complémentaire dans la qualité finale et le respect du devis initial en coût et délais.
La communauté des exploitants nucléaires de réacteurs EPR au niveau mondial (EDF en France et au Royaume Uni, TVO en Finlande, CGN en Chine) constitue d’ores et déjà un lieu privilégié de partage d’expérience et d’innovation pour continuer à faire progresser et la sûreté nucléaire et la performance des réacteurs EPR.
Une nécessaire vigilance renforcée sur la sûreté du système électrique en France comme en Europe
Le retour d’expérience des événements nucléaires à travers le monde met en évidence que la perte de sources électriques est un initiateur ou un précurseur qui pèse d’un poids significatif dans les études probabilistes de sûreté, de par le risque de mode commun associé à ce type d’événements. Dans la défense en profondeur pour renforcer la sûreté nucléaire, la disponibilité des sources électriques internes comme externes demeure un point de vigilance avec l’évolution des systèmes électriques qui deviennent plus complexes, et donc exigeant une régulation adaptée pour en assurer la sûreté et éviter des « black out [1]» avec la nécessaire prise en compte des facteurs d’évolution suivants :
- le développement de réseaux locaux avec le renforcement de la production locale décentralisée et du stockage d’énergie, qui introduisent de nouveaux besoins de régulation et de coordination avec les réseaux centralisés
- l’extension des interconnexions électriques (techniquement, sous réserves que les conditions géopolitiques soient réunies, il serait possible de boucler l’interconnexion électrique tout autour de la Mer Méditerranée alors qu’aujourd’hui l’interconnexion électrique de l’Europe inclut la Turquie mais non encore la Syrie, et au Sud, le Maghreb est interconnecté à l’Europe via le détroit de Gibraltar, mais l’interconnexion électrique s’arrête à la Tunisie, en limite avec la Lybie. Dans l’ensemble de l’Afrique, les zones d’interconnexions demeurent encore très limitées)
- le développement de productions intermittentes[2] ne participant pas aux réglages de fréquence et à l’ajustement temps réel entre l’offre et la demande en électricité, ce qui impose un élargissement des plages de régulation et un renforcement de la résilience des systèmes électriques aux variations ponctuelles de fréquence qui peuvent traduire des besoins d’ajustement rapide entre la demande en électricité et l’offre de production d’électricité effectivement disponible
Il convient de noter qu’un réacteur nucléaire, sous réserves que les dispositions de sûreté nucléaire soient prises pour faire face aux évolutions de la sûreté du système électrique telles qu’elles viennent d’être décrites, constitue par la capacité pilotable du réacteur, et sa capacité potentielle de réserve dite primaire ou secondaire pour la tenue de la fréquence du réseau électrique, une source à haute valeur ajoutée pour la sûreté du système électrique. Les réacteurs nucléaires, qui peuvent s’ilôter sur eux-mêmes pour produire leurs seuls besoins de consommation électrique pour leurs propres circuits auxiliaires, constituent également une réserve de puissance potentiellement disponible pour la reconstitution du réseau en cas d’incident de réseau généralisé.
Il convient également de mentionner que les investissements très significatifs et récents engagés en Europe dans les énergies intermittentes imposent des investissement conséquents d’adaptation dans les systèmes électriques pour tenir compte des nouvelles répartitions de flux d’énergie dans les réseaux entre les lieux de production et de consommation. ENTSOE, l’association des opérateurs de réseau électrique au niveau de l’ensemble du système électrique interconnecté en Europe, estime un besoin d’investissement de 114 Milliards d’euro dans les réseaux électriques de transport (les autoroutes de l’électricité) d’ici 2030 pour déployer ces nouveaux flux.[3]
Tout retard dans le financement ou le déploiement industriel de ces nouveaux lourds investissements pourrait induire de nouvelles contraintes de gestion du système électrique dans son ensemble, et induire, de facto, un accroissement du risque de black out.
Pour mémoire, les derniers grands événements sur le système électrique en Europe ont eu lieu en Italie, black out total le 28 septembre 2003, perte d’un sixième du réseau ouest européen le 4 novembre 2006, et black out de la Turquie le 31 mars 2015.
Et que dire du lien entre nucléaire et militaire ?
Le nucléaire civil est un élément d’autonomie stratégique sur le plan de l’approvisionnement énergétique. C’est un patrimoine national tant sur le plan industriel et technique que sur le plan des compétences humaines. Il y a donc bien un enjeu de défense nationale du patrimoine national associé à l’énergie nucléaire. Et l’utilisation civile de l’énergie nucléaire s’inscrit nécessairement en conséquence dans un contexte institutionnel et réglementaire ad hoc.
Le lien avec l ‘activité nucléaire militaire n’est pas pour autant systématique. Quinze pays en Europe disposent de l’énergie nucléaire civile[1]. Seuls deux pays disposent de l’arme nucléaire (France et Royaume Uni).
Les applications nucléaires civiles peuvent être très diverses: production d’électricité, production d’hydrogène, production de chaleur industrielle ou urbaine, santé ( productions d’isotopes médicaux pour la radiographie ou pour les traitement thérapeutiques…), propulsion maritime et spatiale.
Le développement de ces applications civiles peut intéresser les militaires et les activités de défense, comme pour toute autre domaine industriel à enjeu pour la Nation, systèmes d’information, aérospatiale, transports, industrie pharmaceutique et génétique, robotique, matériaux avancés,….
Comme pour les autres secteurs industriels, il y a des éléments de prévention et de protection pour la prise en compte des menaces et la préservation des intérêts vitaux de la Nation. La détermination des menaces et les dispositions réglementaires à prendre en compte sont de la responsabilité des Pouvoirs Publics.
La confidentialité est un élément de la protection.
La prise en compte des réglementations dites à double usage, comme pour toute industrie, et le respect des exigences des traités dans lesquels la France s’est engagée pour prévenir les conflits et le risque de corruption, de terrorisme, et de prolifération des armes de destruction massive, conditionnent la stricte séparation des activités civiles et militaires.
[1] Allemagne, Belgique, Bulgarie, Espagne, Finlande, France, Hongrie, Pays Bas, République Tchèque, Roumanie, Royaume Uni, Slovaquie, Slovénie, Suède, Suisse