Nouvelle Conférence tenue le 3 octobre 2023 à Aix en Provence, sur invitation du Groupe SFEN Provence, dans l'Ecole des Arts et Métiers d'Aix en Provence.
L’énergie est au cœur d’enjeux sociaux, économiques, environnementaux, sociétaux, et géopolitiques. Plusieurs scénarios très contrastés se présentent à nous.
A partir de la situation actuelle, la conférence permet d’établir quelques repères fondamentaux et de mettre en perspective, aux niveaux français, européen et mondial, des éléments structurants pour l’avenir.
La conférence s’appuie sur des données publiques, accessibles à tous.
Elle permet d’aborder l’importance de l’électricité décarbonée pour le développement.
Elle permet d’identifier l’enjeu, pour l’équilibre du réseau, de disposer de moyens de production pilotables décarbonés tels que l’hydraulique et le nucléaire, en complément des productions intermittentes. Elle invite à identifier les questions de faisabilité industrielle, d’acceptabilité, de coût et de financement ainsi que leurs conséquences pour le consommateur et pour le contribuable.
Principaux points abordés:
Concernant la demande en électricité France, et en premier lieu la pointe de la puissance demandée par les consommateurs d’électricité :
- la puissance appelée varie dans un intervalle de 1 à 2 au plus, sur la journée
- la puissance appelée varie quant à elle dans un intervalle de 1 à 3 au plus tout au long de l’année
- la sensibilité de la pointe en puissance est de 2400 MW par baisse de un degré de la température moyenne en hiver en France
- La puissance historique de la pointe de la demande supérieure à 100 000 MW date de 2012.
- Les besoins décarbonés d’évolution de la demande aujourd’hui identifiés à l’horizon 2035, qui s’appuient légitimement sur la meilleure efficacité et sobriété possible dans les usages, pourraient, notamment par le développement des pompes à chaleur, faire augmenter de 5 GW la puissance appelée en pointe, sans remettre en cause cette variation de la puissance appelée de 1 à 2 max en journée et de 1 à 3 max en inter saisons.
Concernant la demande en volume en énergie électrique :
- La demande de la France est stable depuis plus de dix ans et décroit significativement ces dernières années
- Elle est annoncée accroitre significativement d’ici 2035 avec notamment l’impact de l’électrification décarbonée des véhicules électriques ( 35 TWh pour 18 millions de véhicules électriques ) et 100 TWh pour développer la production d’hydrogène décarboné à destination de la mobilité et de l’industrie.
Cette demande en électricité de la France s’inscrit dans une demande mondiale en électricité qui n’a pas cessé de croitre plus vite que l’évolution de la population mondiale du fait de la pénétration croissante de l’électricité dans l’économie mondiale. Cependant les écarts de consommation par habitant en électricité, pourtant vitale pour des besoins de santé, d’éducation et de services publics, vont encore de 1 à 100 et plus entre les pays qui consomment autour de 0,1 MWH ou moins par habitant et par an et ceux les plus consommateurs avec plus de 10 MWh par habitant et par an.
Ceci illustre la nécessité d’une part de développer l’efficacité énergétique au plus près des usages, et une production décarbonée d’électricité accessible au plus grand nombre.
Les moyens pilotables décarbonés de production d’électricité jouent un rôle fondamental dans l’équilibre entre la demande variable telle que décrite en amont et la production d’électricité.
En complément de tous les moyens assurant en local une production décarbonée de proximité répondant aux besoins, le réseau électrique interconnecté qui s’étend en Europe et autour de la Méditerranée auprès de plus de 500 millions d’utilisateurs permet de leur faire bénéficier de la solidarité et de la mutualisation des moyens pilotables décarbonés fondamentaux dans l’équilibre entre la demande et la consommation d’électricité.
En France, le parc hydraulique et nucléaire, production pilotable décarbonée, 6 g de CO2 par kWh, avec un parc nucléaire français conçu dès sa conception initiale pour faire du suivi de charge dans la variation de 1 à 2 en quotidien et de 1 à 3 en inter saisons de la demande en électricité , lui permet de rejoindre dès maintenant les pays disposant de l’électricité la plus décarbonée à travers le monde.
Les productions plus carbonées, éolien ( 14 g de CO2 par kWh) et solaire photovoltaïque (55 g de CO2 par kWh) appellent à des moyens pilotables complémentaires pour compenser leur propre intermittence. Celle-ci pouvant se situer de manière plus intense que la variation de la demande, dans une variation de 1 à 100, exemple de la production éolienne France en janvier 2022 avec une variation de 150 à 15 000 MW. Cette intermittence issue de la production d’électricité peut conduire à devoir faire appel à des moyens pilotables complémentaires très fortement carbonés ( production au gaz à 418 g de CO2 par kWH ou à plus de 1kg de CO2 par kWh pour le charbon ou le lignite ) ce qui interroge directement sur la pertinence et l’utilité d’une pénétration massive de telles productions intermittentes dans le cas où l’électricité est déjà décarbonée comme c’est déjà le cas en France.
Dans la production pilotable décarbonée, la production nucléaire est appelée à voir sa contribution renforcée, que ce soit dans des pays bénéficiant de l'énergie nucléaire ou dans de nouveaux pays entrants dans le nucléaire.
En contrepartie à tous les avantages que peut apporter l’énergie nucléaire, la priorité une doit être accordée à la sûreté nucléaire compte tenu que le risque zéro n’existe pas, qu’elle relève d’une réalité physique en amont de toute exigence administrative ou réglementaire, aussi pertinente soit-elle, que la mémoire et le retour d’expérience des grands accidents nucléaires ne sauraient être effacés, et qu’enfin, dans le domaine nucléaire, la sûreté nucléaire tire la performance industrielle et non l’inverse, même si la faisabilité industrielle est effectivement un élément de sûreté.
Ceci appelle en conséquence à une attention renforcée :
- A la stabilité institutionnelle et à la pertinence et à l’efficacité de la gouvernance publique sur le long terme,
- A la disponibilité des capacités scientifiques et aux compétences industrielles, prenant en considération que la maitrise du risque nucléaire relève tout autant de dispositions techniques que de dispositions humaines et organisationnelles. A ce titre, la culture de sûreté nucléaire ( rigueur, prudence, attitude interrogative, prise en compte des incertitudes, humilité, intégrité, transparence…) et la responsabilité première de l’exploitant nucléaire sont déterminantes. La disponibilité de réacteurs expérimentaux destinés à la recherche, à la formation initiale, au développement des compétences, et à la qualification industrielle, en complément de tous les apports pouvant venir du numérique, est un élément de sûreté.
- A la prise en compte de ces dispositions pour toutes les sortes d’installations nucléaires, qu’elles relèvent de la production d’électricité, du cycle du combustible nucléaire, du traitement ultime des déchets nucléaires ou de toute autre installation nucléaire
- A la nécessaire prise en compte du retour d’expérience, y compris pour les réacteurs potentiellement les plus innovants
- A la nécessaire prise en compte de la sûreté nucléaire en amont de toute considération d’ordre géopolitique
Il a été également rappelé que la compétitivité du nucléaire dépend d’une part d’une maitrise de la disponibilité nucléaire et d’autre part de la durée de construction des nouveaux réacteurs.
La perte de compétence effective dans les pays occidentaux induite par leur très faible engagement ces dernières années dans le développement de l’énergie nucléaire par rapport aux onze pays du Brics (au sein du G7, seulement quatre réacteurs actuellement en cours de construction et deux pays, l’Italie et l’Allemagne, ayant à ce jour renoncé au nucléaire contre trente neuf réacteurs en construction pour les onze pays du Brics, tous engagés dans l’exploitation ou le développement de l’énergie nucléaire) constitue un challenge industriel pour le renouveau du nucléaire en France et en toute l’Europe.
Pour le consommateur, la très forte dérive en France sur la facture pour le particulier et les entreprises, toutes taxes comprises, entre 2010 et 2021, avec une évolution de la facture pour le particulier de + 51 %, avant la guerre en Ukraine, met en évidence l’inefficacité et la non pertinence catastrophique du dispositif Arenh mis en place en France, le coût de la dépendance au gaz, et le coût du développement massif des nouvelles énergies renouvelables intermittentes.
L’ébullition du marché de l’électricité en 2022 / 2023 en France et en Europe, ouvrant la porte à une très forte spéculation et à de nouvelles gabegies publiques budgétaires, a quant à elle mis en évidence la nécessité de reconstituer une régulation du marché de l’électricité prenant mieux en compte le long terme, la rationalité économique, et la prise en compte de l’intérêt général et non celle de quelques intérêts très particuliers