La Manche à Hermanville-sur-mer, Calvados décembre 2012
L'ouverture de la Voix maritime du Nord constitue une nouvelle donne pour l'énergie au niveau mondial, une nouvelle donne pour la France.
Pour la première fois de l'histoire, un méthanier, le méthanier grec REKA OB (le Fleuve OB), a emprunté en novembre 2012 la voie maritime du Nord, à travers l'Océan Artique, pour transporter du gaz de Norvège au Japon.
Ce méthanier, appartenant à la société grecque Lance Shipping SA, battant pavillon des Iles Marshall, était accompagné pour l'ouverture du passage dans 'lOcéan Artique, par trois brise glaces russes à propulsion nucléaire, le "50 let Pobedy" - 50 ans de la Victoire, le Voïgatch et le Rossia.(source Ria Novosti 19 novembre 2012)
Ce fait revêt une importance stratégique majeure sous plusieurs aspects.
1/ Comme plus des trois quarts de nos échanges commerciaux en France se font par voie maritime, l'ouverture de cette voie ouvre pour la France et l'Europe dans son ensemble une diversification des voies d'échanges.
La voie maritime par le Nord, lorsque elle est ouverte, permet de réduire la distance entre l'Europe et l'Asie. La distance entre le port du Havre et le port de Yokohama au Japon est ainsi raccourcie de près de 3500 milles nautiques, soit une dizaine de jours de navigation, en passant de 11000 milles nautiques à 7500 milles nautiques.
Ceci permet de disposer en cas de tension dans la zone du Canal de Suez ou du Détroit de Malacca (situé entre la Malaisie et l'Indonésie) de voies complémentaires de transit pour les échanges avec le Japon et la Chine.
La route via le Cap de Bonne Espérance au Sud de l'Afrique demeure quant à elle une voie privilégiée pour les échanges avec l'Inde, l'Indonésie et l'Australie en cas de blocage sur le Canal de Suez.
2/ Dans ce contexte, les risques d'embrasement du Moyen Orient, toujours présents par les luttes ancestrales locales, sont à relativiser quant à leur incidence potentielle sur les flux mondiaux d'échanges.
Notre dépendance au gaz et au pétrole du Moyen Orient peut cependant jouer encore un rôle amplificateur pour attiser les tensions locales, et diminuer ainsi l'impact de la régionalisation des conflits au sein du Moyen Orient. Il convient en conséquence de veiller à ne pas augmenter cette dépendance par le choix de notre politique énergétique et de continuer à oeuvrer pour la paix locale au Moyen Orient entre les différentes factions.
3/ le marché du gaz se mondialise peu à peu.
La Russie, premier producteur mondial de gaz avec 677 milliards de m3 en 2011, et premier exportateur de gaz avec 196 milliards de m3 en 2011, mais essentiellement vers l'Europe, cherche à exporter vers l'Asie, mais ne dispose pas encore de gazoducs suffisants ni d'installation de liquéfaction pour les méthaniers et le transport en Gaz Naturel Liquéfié en quantité suffisante pour contribuer de façon significative aux besoins croissants de l'Asie. Le Japon, premier importateur de gaz avec 116 milliards de m3, va notamment augmenter ses achats de gaz avec le prolongement de l'arrêt partiel de son parc nucléaire. (sources: données 2011 Agence Internationale de l'l'Energie, http://www.iea.org) .
Les USA, deuxième producteur mondial avec 651 milliards de m3 en 2011, mais encore importateurs de gaz (4 ème importateur de gaz en 2011 avec 55 milliards de m3) , vont chercher à valoriser leur ressource de gaz de schiste pour exporter vers l'Europe, mais aussi vers l'Asie en plein développement.
La mise à disposition d'une nouvelle voie d'approvisionnement par GNL plus courte par le Nord et l'Océan Artique ouvre ainsi de noveaux débouchés pour le gaz russe et potentiellement le gaz européen et le gaz américain pour approvisionner les besoins en développement en Asie, et permettre à l'Afrique peut être après demain de préserver son développement.
Cettte mondialisation du marché du gaz augmentera l'interdépendance entre les économies, mais ne réglera pas pour autant la sécurité d'approvisionnement de la France ou de l'Europe.
4/ développement de la propulsion nucléaire pour le transport maritime
Le développement des flux d'échanges dans l'Ocean Artique aidés par des brise -glaces à propulsion nucléaire va ouvrir de nouvelles perspectives pour de nouveaux navires à propulsion nucléaire, porte containers, vraquiers, ferries...
Les questions qui se poseront porteront sur les régles de sûreté nucléaire à la conception et à l'exploitation de ces navires, sur l'interdiction de pavillons de complaisance sur de tels navires, sur des dispositions de contrôles de la sûreté nucléaire et de la sécurité maritime par les Autorités publiques des pays riverains des zones traversées, sur les modalités de surveillance radiologique des zones traversées, sur les modalités d'intervention en cas de crise.
De nouveaux champs de coopération sont ainsi à développer.
Dans ce nouveau contexte mondial, la France, en tant que troisième puissance maritime mondiale par son espace maritime, et deuxième puissance nucléaire mondiale par l'électricité produite, a une carte maîtresse à jouer, en consolidant son indépendance énergétique en premier lieu grâce au nucléaire sans entrer dans la dépendance au gaz, en exerçant sa capacité d'interpellation et en portant ses exigences auprès de ses partenaires pour disposer d'un nucléaire sûr, et en valorisant ses compétences industrielles, tant dans le domaine de la construction navale que du nucléaire.
La France saura -t-elle saisir à temps la nouvelle configuration géopolitique qui se dessine?